Préambule
Nombre de photographes ont eu une influence décisive sur mon travail de photographe et ma sensibilité à l’image. Paul Strand 1890/1976 ; Walker Evans 1903/1975 ; Vivian Maier 1926/2009 ; Izis 1911/1980 ; Brassaï 1899/1984 ; Henri Cartier-Bresson 1908/2004 ; Robert Doisneau 1912/1994 ; Willy Ronis 1910/2009 ; Raymond Depardon 1942 ; Robert Franck 1924 ; Joel Meyerowitz 1938 ; William Eggleston 1939 ; Stephen Shore 1947.
Stephen Shore est le photographe des années 70 qui m’influence le plus par sa façon d’immortaliser les rues, le quotidien, les panneaux, ou la nourriture qu’il mange dans des motels un peu miteux. Ses photographies représentent l’Amérique des années 50 : les stations-service, les rues désertes californiennes. Sa façon de cadrer, sons sens du contraste, ses ombres et soleils, m’ont aidé à comprendre, en images, la perception de la banalité du quotidien et m'ont proposé une esthétique, une méthode, pour son traitement. Quand j'ai commencé à photographier, je ne connaissais que quelques-unes de ses images. Je n'avais jamais eu accès à son œuvre complet. Mais le peu de clichés de Shore que j’avais contemplés ont suffi à avoir une influence décisive sur mon travail et à m'orienter vers la photographie plutôt que vers un autre art. Finalement, si le chemin fut si long avant d’arriver à la photographie et de procéder à un choix radical, c’est parce qu'il m'a fallu du temps pour prendre toute la mesure de la force des petits détails banals du quotidien dont l'œuvre de Shore regorge et dont je voulais devenir le rapporteur à mon tour. Ce type d'alchimie, à savoir l'influence notable d'un artiste sur une conscience, prend du temps. Et en photographie, c’est Stephen Shore avec la pertinence de son regard sur la société américaine qui reste pour moi un maître. Son livre, Uncommon places, demeure un de mes livres de photographies préférés.
L’année dernière, en 2017, au Centre Pompidou, j’ai pu voir l’exposition de Walker Evans (1903-1975). Stephen Shore est d'ailleurs considéré comme son successeur pour la photographie en couleur. Quand on évoque Walker Evans, spontanément les gens parlent du « style documentaire » propre à ses photographies. « Après lui, des générations d’artistes se sont réclamées de son héritage ».
William Eggleston, né en 1939, fait également partie des photographes qui immortalisent sur pellicule des thèmes assez ordinaires comme « les détails de la vie », « les gens dans la rue, croisés dans sa banlieue de Memphis15. » A la même période, Stephen Shore travaillait de façon similaire en Californie. William Eggleston découvrit la photographie grâce à Henri Cartier-Bresson, et Walker Evans grâce aux romans de Faulkner. Quant à Stephen Shore, celui-ci était subjugué par le travail de Walker Evans...
De fait, l'esthétique propre à mes photographies est la combinaison de toutes ces influences, tant picturales que littéraires. Mais les cinémas de William Friedkin, John Carpenter, Jeorge A. Romero, David Cronenberg, Brian de Palma, Martin Scorsese, Stanley Kubrick, Alfred Hitchckock ont également eu un impact prégnant sur ma façon de photographier également. Et aussi Carol Reed, Fritz Lang, Méliès. La peinture de Giogio Chirico, celle de l’américain Edward Hopper se retrouvent dans le filigrane de mon propos aussi.
Alors pourquoi photographier aujourd’hui ? Sans doute pour prendre le temps d’observer plutôt que d’être constamment dans la fulgurance de l’image animée et éphémère que produit le cinéma, par exemple. J'ai à cœur que le décor de la vie devienne une œuvre d’art, une photographie que l’on accroche au mur, un arrêt sur image de l'existence que constitue notre quotidien.
Parent pauvre de l’art (2% du marché de l’art mondial) la photographie s’est démocratisée grâce aux téléphones, mais elle a du mal à se hisser au niveau des médiums telles la peinture et la sculpture, même si elle est en plein essors depuis plus de quinze ans.
En outre, la réflexion, l’interrogation sur une simple image sont devenues des gageures et des exercices qui peuvent paraitre étranges devant l’inflation de sources iconographiques. Si aujourd’hui mes photographies sont de plus en plus épurées, c’est en réaction à la société de consommation où tout va trop vite, où chacun cède à la frénésie narcissique des images et des selfies... L’ère numérique, enfin, a contribué à faire perdre ses lettres de noblesse à l’art photographique, puisqu’il semble désormais si facile de réaliser des milliers de photos avec son téléphone ou sa tablette.
Ainsi prendre le temps de réfléchir à une photographie unique devient un pari. La série de photomontages, (r)evolution 2080, s'inscrit aux antipodes de ce qui se photographie aujourd'hui. En effet, il est plus facile de noyer des défauts parmi une multitude de détails, de styles différents, ou d’effets, plutôt que de réaliser une simple photo avec un décor minimaliste, où chaque détail sera scruté et analysé. La démarche s’avère, de fait, autrement plus complexe.
Mon travail suppose donc une réflexion permanente sur l’image, laquelle se présente souvent comme difficile et fastidieuse. Décider que telle ou telle image est la bonne parmi des centaines, procède d'un choix devant être rapide, voire irrévocable. D’ailleurs, je laisse toujours « reposer » mes images quelques semaines avant de les sélectionner, car cela me permet d’avoir un regard neuf sur les photographies.
Qu'il s'agisse de travailler pendant un mois sur une seule image et d'y ajouter des dizaines de clichés ou, à contrario, de réaliser des centaines de photographies pour n’en garder qu’une, revient au bout du compte à la même chose. Quand on choisit une image, il existe plusieurs étapes. Premièrement, il faut réfléchir à la symbolique de l'image. Ensuite on doit considérer la qualité technique du cliché, le cadrage, la lumière, la composition, la couleur. Puis celui-ci ira rejoindre la sélection d’une série préalablement nommée. Enfin, le cliché sera montré au public dans un lieu d’exposition où les visiteurs pourront à leur tour « lire » les images et déchiffrer le sens que le photographe y aura déposé .